lundi 28 octobre 2013

Le nazi et le barbier

"Je me présente : Max Schulz, fils illégitime mais Aryen pure souche (...). Itzig Finkelstein habitait la maison d'à côté. Il avait mon âge ou, pour être plus précis (...), Itzig Finkelstein a vu le jour exactement deux minutes et vingt deux secondes après que la sage-femme Marguerite Grosbide m'eut délivré d'un coup sec et vigoureux de l'obscur ventre de ma mère... Si tant est qu'on puisse parler de ma vie comme d'une délivrance..."
Ainsi commence "Le nazi et le barbier" roman tour à tour délirant et terrible d'Edgar Hilsenrath, publié avec succès en 1972 aux Etats-Unis, qui fit scandale en Allemagne lors de sa publication en 1977, et du encore attendre 2010 pour être traduit en français ! 
Les 481 pages (qui se lisent avec compulsion) correspondent à un tour de force incroyable qui nous rendrait presque sympathique Itzig Finkelstein alias le génocidaire Max Schulz. Vous comprenez que c'est un livre sur une schizophrénie impossible et pourtant assumée, qui entraine le lecteur de Wieshalle (Silésie) jusqu'à la Terre Promise, en passant par les camps de la mort et les bas-fonds du Berlin de l'aprés-guerre, gangrené par le marché noir. On y parle savamment de barbier (un métier quasiment disparu) et avec une objectivité noire de nazi (un métier qui tend à réapparaître).
C'est un livre qui parle du racisme imbécile, de la peur, la haine, l'abjection, la folie banale, la perversité, la bassesse la plus terrible, la force de la médiocrité, la Shoah, le nazisme, tout ça sans pathos, mais plutôt sous l'angle de la dérision et de l'humour (noir et grinçant bien entendu). On est loin des "Bienveillantes", mais la démonstration est certainement encore plus puissante. Itzig Finkelstein alias le génocidaire Max Schulz est un tantinet porté sur la gaudriole, ce qui nous vaut quelques scènes truculentes de copulations débridées (Houellebecq s'en est-il inspiré dans "les Particules élémentaires" ?). C'est un livre de la désespérance mais qui ne vous laisse pas désespéré ; un livre sur l'absurde (Dieu est ultimement piégé). Edgar Hilsérath est un extraordinaire observateur, un "limier" de la condition humaine. Le livre est servi par un style qui alterne le questionnement  bouillonnant (vis-à-vis du lecteur) et des phrases d'une richesse poétique formidable. Dois-je avouer qu'il s'agit pour moi d'un chef d'oeuvre ?
Merci à Etienne V. qui se reconnaitra s'il s'égare jusqu'ici, et à qui je dois cette très belle et très sombre découverte.
Nota : la pièce de théâtre se joue actuellement au Petit Hébertot (à vos places !)

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