dimanche 23 octobre 2011

Docks en Seine : docks (toujours) en rade ?


Elle apparait comme une curieuse élaboration qui peut évoquer une excroissance parasitaire - une sorte d'Alien ? - qui serait venue s'emparer des vestiges de l'ouvrage centenaire de Georges Morin-Goustiaux.
Au ciment gris armé originel d'une rigueur ultra-fonctionnaliste, les architectes Dominique Jakob et Brendan MacFarlane ont choisi d'opposer un "Plug-over*" déconstructiviste métallique de 90 tonnes, vert-pomme.
Sur sa façade côté Seine, elle a un petit air de sauterelle (ou de mante religieuse, selon l'humeur) ; pour d'autres, le registre serait plutôt reptilien - le "lézard vert" -, jusqu'au "truc vert", issu de l'imagination lapidaire d'un certain Nicolas Sarkozy.
C'est peu dire que le bâtiment ne fait pas l'unanimité ! Il semble même maudit, puisque l'ouverture annoncée au printemps 2008 n'a eu de cesse d'être repoussée. "Docks en Seine est en rade" titrait le JDD en février 2011. On nous annonce aujourd'hui une mise à flots pour 2012...
Mais le bâtiment qui devait accueillir ce grand projet de "Cité de la Mode et du Design" (rebaptisée "Docks en Seine"), mérite-t-il un tel acharnement critique ? Certainement pas. Le parti architectural est excellent : déporter les circulations sur la façade fluviale (parcours attractif du visiteur, espace perçu comme dynamique depuis le fleuve) ; donner une terrasse accessible comme un immense balcon sur la Seine ; disposer de plateaux les plus libres possible afin d'accueillir la grande cité de la mode que ses promoteurs avaient imaginées ; travailler sur la trame d'origine en proposant une plastique contemporaine.

A l'arrivée, si les circulations gardent un réel attrait, on peut reprocher le manque d'élégance finale de la structure treillis porteuse ; le dessin-même (le design ?) de l'ensemble aurait pu être totalement exempt d'un "je-ne-sais-quoi" un peu maladroit qui aurait pu éviter les comparaisons entomologiques ; le balcon a la pelade et ressemble plus à un paillasson fatigué qu'aux "greens" des panneaux du concours ; les plateaux restent tellement libres qu'ils sont le plus souvent déserts. Ce projet serait-il une victime des "PPP**" ?

Mal servi par sa réalisation et mal desservi par les transports, accablé par une commercialisation visiblement désastreuse, ce bâtiment dispose pourtant de réels arguments pour représenter le nouveau pôle d'attraction d'une capitale légèrement confite dans des clichés façon "Amélie Poulain".
A l'intelligence du parti déjà évoquée, il y avait cette possibilité de créer par une architecture subversive un évènement qui secoue enfin les berges de la Seine, comme Beaubourg en son temps a su déclencher un électrochoc (salutaire) au cœur du Paris historique. (Ne me faites pas dire que les quais de la Seine ne sont pas un miracle, et que le cœur de Paris - à défaut de ventre - est sans charmes). Mais vide, déserté avant d'avoir été réellement habité, le vaisseau vert reste tristement à quai.

Heureusement, la nuit lui redonne l'allure d'une immense (200 m) et étrange fibule d'émeraude. Heureusement, les matins purs produisent ces millions d'éclats de lumière sur les vaguelettes du fleuve qui viennent se refléter sur la maille métallique. Heureusement, même de jour, on peut trouver un certain enchantement aux contrastes d'un béton brutal et d'un métal qui semble refuser de se laisser domestiquer.

On se laisse alors à rêver qu'il suffirait seulement que ce bâtiment soit habité...
Mais attention : Fugit irreparable tempus !...

* Plug-over, par référence au "plugin" informatique qui désigne un module d'extension, un greffon, sur un logiciel de base
** PPP : Partenariat Public Privé, mode de contractualisation qui fait débat dans le monde de la conception architecturale par le fait que l'enjeu financier est (le plus ?) souvent déterminant.

2 commentaires:

  1. Malheureusement l'histoire est plus complexe. Il s'agit aussi de détournement de subvention d'un lieu à visée culturel qui va finir en zone commerciale.
    Ce bâtiment a vu passer plusieurs directions plus incompétentes les unes que les autres.
    Au départ il devait y avoir une seule jeune créatrice, Aliénor de Cellès. Son projet de laboratoire de créateurs et d'artisanat a été absorbé, tant d'un point de vue philosophique que du design intérieur. Elle est pourtant toujours unique signataire d'un bail mais subit des pressions odieuses.
    Ce batiment vert est une vraie mante religieuse.

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  2. Merci pour ce commentaire éclairé qui renvoie une nouvelle fois à la question d'une société exclusivement mercantile qui ne reconnait de valeur que le profit immédiat. Bien entendu, on peut taxer ce type de réflexion de propos de Café du Commerce mais, inutile d'être un grand économiate pour constater aujourd'hui que la spéculation (qui relève de la logique du seul profit) ruine les économies.

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